MÉLANGE CACOPHONIQUE DES GENRES
COMMUNICATION N’EST PAS INFORMATION
Sur les réseaux sociaux et les sites spécialisés (ou pas), chaque consommateur a la possibilité d’apposer une note et/ou un avis sur à peu près tout: du médecin à l’agence immobilière, de l’avocat au boulanger, de l’hôtel au restaurant. Du coup et dans un obsessionnel souci de visibilité positive, les commerçants souhaitent obtenir des notations avantageuses et s’organisent en conséquence. En particulier certains gros finauds de tambouilleurs approximatifs plus disposés à garnir leur tiroir-caisse aux dépends du client qu’à le satisfaire en faisant avec application et honnêteté leur œuvre. Comment?
Etre vigilant sur les avis concernant son commerce: oui! Sauf que des roublards de restaurateurs passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux à attribuer à eux-mêmes des bons avis et des étoiles sur des sites tels Google, Facebook, Michelin, TripAdvisor, The Fork (ex-La Fourchette) afin de contredire les critiques qui fusent. Prérogatives bien éloignées de leurs attributions supposées de cuisiniers: « de quoi se mêle le client, de quel droit, je vais pas me laisser faire, mais que fait mon syndicat qui ne sert à rien? ». Appelons-le: Plan A.
Plan B. Il n’est pas rare que des relations de l’angoissé de l’avis négatif déposent à sa demande de bonnes appréciations contre un café ou l’apéro offert, ou simplement parce que le chef est son beau-frère. Beau-frère qui, dans de grands gestes au comptoir du bar ou sur Facebook, se plaint avec outrance d’un monde décidément pourri par la corruption, les médias, le showbiz, les politiques et le maire de mon village. Toutes proportions gardées (comme on dit), ça ne lui vient pas à l’esprit que son comportement est identique à celui qu’il dénonce. Enfin bon. Au lieu d’accuser la terre entière de la responsabilité de leur propre incompétence culinaire quand ils se font épingler par la patrouille, bon nombre de restaurateurs devraient apprendre à utiliser des couteaux et des casseroles pour évoluer, au lieu de convulsionner devant leur clavier d’ordinateur pour être « mieux classé » sur les sites de contributions et leurs logarithmes qui favorisent quoi qu’il en soit les restaurateurs qui passent à la caisse. En l’occurrence les restaurants validés « page attribuée » à côté de leur sobriquet sur TripAdvisor.
Et puis le Plan C: la méthode industrielle d’obtention d’avis positifs. Nous en avons déjà parlé. Il est aisé pour un restaurant d’obtenir des étoiles en achetant des avis* à d’opportunistes sociétés d’« E-Réputation » qui en sous-traitent la production pour quelques centimes de dollar l’avis positif inventé de toute pièce, à Madagascar ou au Sénégal. Pratique désormais bien connue et même reconnue dans la profession** de la gamelle. Plus exactement celle du ciseau pour ouvrir le sachet plastique de poulet aux écrevisses industriel et du filet de Saint-Pierre chinois sauce Champagne congelé à tire-larigot pour épater le gogo. Ce qui n’est pas tellement grave, le monde change et nous avec. Sauf qu’obnubilé par les étoiles de pacotille appréciées par Google et les autres moteurs de recherche, le restaurateur perd le sens des priorités et des réalités de son métier: faire à manger et bon si possible. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Nous autres de notre côté, on fait simplement notre travail de critique culinaire satirique et irrévérencieux, depuis plus de 30 ans. En toutes saisons on fait le trajet en voiture, on mange et on paye notre repas, puis on refait le trajet dans l’autre sens. Comme on a vite pigé qu’on ne peut pas être amis avec tout le monde, alors on a choisi le lecteur. On sait bien que le médiocre cuisinier qui est du même avis que le dernier qui a parlé propage la rumeur nous accusant d’être achetable pour être bien noté dans Le Bouche à Oreille: qu’il essaye pour voir! Qu’on rigole! Que peut-il dire d’autre? Une fois sur 10 seulement, le restaurant prend conscience de ses carences, recentre. Avec 380 tests par an en période « normale », nous aussi on peut se tromper! On ne détient pas la vérité! « Ce n’était ni vrai ni faux, c’était vécu » comme disait Malraux! Et on tient à notre guide comme à la prunelle de nos yeux et à celles de nos nombreux lecteurs: ils représentent la meilleure preuve de la pertinence de notre information. Sinon, nous n’existerions simplement plus depuis bien longtemps.
Le Bouche à Oreille restera comme le 1er guide de restaurants en France sur Internet: octobre 2000! Né sur le papier en 1990 et toujours bien vivant, not’ guide aux méthodes de francs-tireurs équipés de stylo fomente un guide de « bonnes tables, les mauvaises et celles à éviter » et est distribué sous le manteau. Il prend ses décisions de notations et rédige des critiques en toute indépendance et n’en rend compte qu’à ses lecteurs. Ça défrise nos détracteurs, du restaurateur aigri au blogueur spécialisé, qui grouillent dans le monde de la tambouille en confondant « test en bonne forme » et « recopiage décomplexé de dossier de presse ». Autrement dit, qui confondent information et communication.
Olivier Gros
MÉLANGE DE TORCHONS ET DE SERVIETTES
* https://www.le-bouche-a-oreille.com/os/tripadvisor-et-les-maitres-chanteurs/