Oui ! le Marseille de la toque progresse à la vitesse du TGV ! TGV qui aura d’ailleurs été un élément essentiel du désenclavement culturel de la ville ! Profitant de l’aubaine économique, de nombreux établissements auront su créer de toutes pièces (et assiettes) une âme culinaire pour la ville. Faut quand même se souvenir que jusqu’alors Marseille était la petite dernière du peloton de la région en terme de gastronomie ! Pas d’historique flagrant comme Nice, Toulon, la Corse et même les Alpes avec Sisteron ou Gap. La gastronomie phocéenne tournera en rond fort longtemps en se cantonnant à la bouillabaisse et la soupe de poisson. Tous les restaurants les proposeront pendant longtemps, s’entraînant main dans la main sur le terrain d’une concurrence totale et d’une baisse des prix affolante pour la qualité : on sait bien qu’aujourd’hui une bouillabaisse proposée à moins de 30 Euros aura bien peu de chance d’être sérieuse, « charte de la bouillabaisse » ou pas. Du coup dans les années 70, seuls les établissements dits « de prestige » maintiennent tant bien que mal la tête hors de l’eau (salée, comme les additions). Mais grâce à une clientèle internationale et (ou) aisée : le Miramar, Passédat, Fonfon. Marseille sinistrée de la toque et allumée par les guides ! C’est que pour le plumitif critiqueur de l’époque (qui depuis a retourné sa veste) Marseille c’était égal à Borsalino ! Le miche, le go et millo et quelques autres ont donc fait marche arrière toute, le bizness fait loi. Avec la complicité des cuisiniers sans mémoire. Mais passons ! Les années 80 avec les frères Minguella, Passédat (le père) et Fonfon tireront encore leur fourchette du jeu. Un peu en arrière plan, les Alloin, Bataille, Le Jambon de Parme, Moréni (les Echevins), ou Suzanne Quaglia (le Patalain) sont connus quasiment de manière exclusive du seul gourmand marseillais. Certains d’entre eux ne résisteront pas aux années 90. Entre les rachats par des groupes, les successions ou associations hasardeuses et l’absence de remise en question sur les méthodes de travail, on y verra plus clair fin des années 90. Et puis, en parallèle des toujours pièges à touristes pour qui ça va toujours très bien quelle que soit l’époque (à quand des critères sérieux quant à la définition de « restaurant » ?) naît la génération lucide de cuisinier-patron : mi-artiste, mi-comptable et mi-chef du personnel. Bon d’accord, ça fait trois demis. Mais c’est pas de trop dans une profession où la polyvalence est plus qu’un atout : c’est une obligation.
Alors voilà.
Choisis parmi d’autres, les quatre cuisiniers affichés à la une du BàO de ce trimestre ont plusieurs points communs. Ils sont leur propre « patron ». Ils n’ont pas de terrasse, pas de vue mer, sont installés dans des endroits que la morale marketing réprouve. Celle qui fait qu’on peut vivre de son métier quand on est passionné. Et qu’importe le lieu d’implantation de l’établissement : les connaisseurs finissent toujours par les débusquer, guide ou pas guide. Et enfin, leurs cuisines sont toutes différentes. Classique ou innovante, simple ou complexe, piochée dans les expériences internationales ou franchement régionales, voilà Marseille en 2005 : le mélange des genres fait enfin genre !
Olivier Gros