THIERRY MARX
LE RIMBAUD DES FOURNEAUX
On le saura que Thierry Marx a pondu un bouquin sur sa vie. Reçu à flots continus en 2014 et 2015 sur de nombreux plateaux télé ou à la radio, on se demande quand cuisine et dort le bi-étoilé parisien vu le temps qu’il passe à flâner dans les médias. Que l’ex-apôtre « made in France » de la cuisine moléculaire vende sa soupe, difficile de lui en vouloir sur ce point. Plus rude d’oublier que ce multicarte de l’industrie agro-alimentaire cachetonne avec Brake, Sushi-Shop… « il faut bien vivre » se désolent ses exaltés supporters sensibles à son charisme de cuisinier « qui vient d’un quartier pourri » comme l’évoque lui-même Thierry Marx. Adepte de la rhétorique, il enfonce le clou du vilain petit canard dans un entretien sur le site Atabula: « Je ne fais pas partie du monde d’Alain Ducasse ou de Yannick Alléno. Ils m’acceptent mais on me fait comprendre que je suis différent« .
Son discours rodé de cuisinier pas comme les autres ne l’empêche en rien d’être membre du fameux « Collège Culinaire de France » dont Ducasse et Robuchon sont les principales têtes de gondoles. Simple « deux étoiles » au milieu d’une majorité de trois, Marx se positionne sur le social et la morale: visite de prisons, créateur d’écoles, pédagogie, remise en cause des méthodes de management en cuisine etc. Voilà bien un « fonds de commerce » qui le différencie de ses collègues de bureau du Collège Culinaire.
L’homme médiatique est fin stratège. Alors qu’il est né en 1959 à Paris dans le XXème, Thierry Marx se glisse avec habileté dans la peau d’un gueux sorti du caniveau à la force du poignet et des convictions, un miracle à l’américaine, tout est possible. Fabriquer une légende en trouvant quelques arrangements avec la réalité, raconter des histoires, les gens adorent les histoires. C’est ainsi que cet adepte des arts martiaux se dégage en souplesse de l’ornière empruntée par d’autres cuisiniers en quête de célébrité. En effet, à l’instar d’un Van Gogh pour la peinture ou d’un Rimbaud pour la littérature, il saura changer de vie. Van Gogh qui, doit-on le rappeler, arrêta net la peinture pour devenir pasteur puis prédicateur laïc. Tandis qu’Arthur Rimbaud également un temps trafiquant d’ivoire vira… militaire! Ça vous rappelle quelque chose? Le sabre et le goupillon! Entré en 1976 au « Compagnons du devoir » le fameux poinçon lui permettra d’être facilement placé dans de « belles maisons » (comme on dit) au moins jusqu’en 1986. L’amusant est qu’entre-temps, Marx fut « casque bleu » parachutiste en 1980 dans l’armée régulière avant d’intégrer les très chrétiennes milices des « phalanges libanaises« . Parcours dans les armes plutôt cocasse pour un humaniste convaincu.
Alors forcément vu son vécu qui en a vu, l’attachant homme séduit. Son image zen façon bouddhiste à la Matthieu Ricard plait. Surtout à ceux qui croient se reconnaitre dans le personnage, les cuisiniers « comme lui » qui « partagent les mêmes valeurs ». Il m’a aimé toute la nuit mon légionnaire. Sous l’angle marketing dont Thierry Marx maitrise parfaitement les arcanes, on note la redoutable efficacité de son discours! Elle tient en une particularité: comme bon nombre d’artistes maudits, c’est un moraliste! Les médias aux ordres font relais, façonnant à force de répétition une légitimité du devenu populaire cuisinier qu’on a vu à la télé.
Car enfin: si tous les cuisiniers qui bénéficient de deux étoiles dans le fameux Guide Rouge Michelin se mettaient à raconter leurs vies, ça serait… l’indigestion! A-t-on déjà vu Olivier Bellin de « l’auberge des Glazicks » en Bretagne étaler sa vie dans les médias? Ou Nicolas Stamm en Alsace de « La fourchette des Ducs » faire le pitre à Top Chef? Imagine t’on un instant le chef de « Taillevent » depuis 2002 Alain Solivérès faire la bise à l’animatrice Sandrine Quétier en direct à la télé sur le plateau de Masterchef?
L’existence de ces trois exemples de chefs discrets 2 étoiles (et tant d’autres) dans le fameux Guide Rouge démontre la grande possibilité d’être cuisinier d’exception sans pour autant vouloir être « calife à la place du calife ». Car voilà: au cas où ça aurait échappé à quelques romantiques, il s’agit bien davantage de pouvoir que de cuisine dans ce tourbillon de médiatisation à outrance des frasques et états d’âme de quelques grandes toques en perpétuelle crise aigüe d’ego.
Olivier Gros