LE DIEU ET LES APÔTRES
SEULS LE GUIDE ROUGE ET LES CHEFS PEUVENT ÉVALUER LES CUISINIERS
Il est une chose amusante dans not’ boulot de cobaye à temps plein. Celle d’être parfois confronté au cuisinier qui n’accepte d’être évalué que par ses pairs et le dieu Michelin. Eux seuls sont légitimes à ses yeux. Tout le reste de la population non initiée et non autorisée par lui n’a pas de place sur la terre en général et sur son territoire de prédilection en particulier.
C’est qu’à l’instar du festival de Cannes où les films sont adoubés par d’autres faiseurs de films et soutenus par une critique docile amplement champagnisée lors de coquetailes où l’« on rencontre d’autres gens de la profession », le chef rêve de vase clos et de consensus à son avantage. Il s’invente son monde parfait. Ce profil de chef fermé sur lui-même alors qu’il croit fermement le contraire est rarement bouffi de doutes quant à ses compétences professionnelles. Par exemple, je pense à un fameux et jeune chef rencontré récemment propriétaire de « L’Atrium » à Marseille, Cyril Bonfils. J’ai vite pigé que le BàO ne lui plaisait pas, ce qui le regarde. C’est que présentations faites, il épluchera avec un peu de dédain le BàO, écornant sévèrement grand nombre de tables référencées positivement par nos services. Pour lui, seule n’a de valeur l’élite de la cuisine! Où il se glisse naturellement volontiers! « Les autres », les sans-grades, la lie de la tambouille, autrement dit ceux qui ne sont pas dans le miche: passez votre chemin! Une philosophie « élitiste ». C’est-à-dire selon le Petit Robert qui n’était pas cuisinier: « politique de formation visant à favoriser et à sélectionner une élite, au détriment du plus grand nombre ». Tout est dit.
C’est drôle. La même semaine du côté de Cavaillon je dégustais une excellente cuisine dispensée par un jeune chef de haut niveau qui vécut six années au Japon, Grégory Sédat (Wo Sushi). D’une sobriété étincelante dans le propos, il parlait doucement et avec bien peu de mots, saine caractéristique des individus ayant quelques doutes. J’ai trouvé qu’il brillait par son ouverture d’esprit, son écoute naturelle et sa capacité à supposer l’intégrité chez l’autre avant d’éventuellement le juger. Et puis il trouve ordinaire qu’un guide, le BàO en l’occurrence, se poste du côté des consommateurs, et non du côté des restaurateurs.
Olivier Gros