LA BIBLE ET LE CUISINIER
Les années se suivent et se ressemblent: le guide rouge 2015 est sorti de sa boite magique et fantasmatique. Chaque commentateur-blogueur-journaliste-intrigant de la sauce et du fumet qui cabote dans le microcosme de la restauration y est allé de son commentaire, louangeant rarement et critiquant souvent le fabricant du pneu dans ses choix, ses non-choix, ses décisions, ses inepties, ses incohérences, ses injustices, ses stratégies, ses partis-pris et tutti quanti. Avec autant de détracteurs (dont le Bouche à Oreille) agrippés à ses chevilles, on s’étonne encore de l’existence du guide Michelin dans les kiosques, et de ses relais sûrs dans tous les médias télé, radio, journaux… locaux ou nationaux.
Bien sûr que les cuisiniers sans-grade maugréent au fur et à mesure qu’ils découvrent les pratiques troubles de la bible rouge: ils n’attendent plus rien du guide simulacre qui choisit ses ouailles selon d’obscurs critères comme la cooptation et le renvoi d’ascenseur, le parrainage et le simple copinage. Abattus, mais résolus et désormais athées du dieu miche, ils regardent chaque année la caste des élus-cuisiniers dans les petits papiers du miche se taper sur le ventre et se féliciter d’avoir gardé ou gagné des étoiles.
Et puis les « grands chefs » en vue, tantôt parrains locaux qui squattent les radios locales, tantôt assidus du petit écran national pour la grande foire à la congratulation: le miche n’est qu’un relais de communication parmi l’arsenal des médias à la botte de nos grands égos en toque pas tellement égaux avec le commun des cuisiniers. Commun des cuisiniers qui, il faut le dire, n’est pas issu du sérail. N’est pas élu par le dieu miche qui veut. Ni même qui peut.
Les intégristes dévots au guide rouge, les médaillés, les étoilés ou multi-étoilés nient l’évidence d’un réseau pour obtenir des faveurs. Ainsi, nous sommes surpris de l’adoubement récent de « la table de Nans » à La Ciotat (13) comme celle du maintien de l’étoile de Lionel Lévy à Marseille (13). Enfin bon. Ne rien dire, ne pas chercher à comprendre: faut pas toucher au guide! Chefs élus par leur dieu, vous comprenez. Il est comique de remarquer que nombre de ces intouchables montent sur leurs grands chevaux quand le client mécontent les chatouille sur Tripadvisor! Ils s’insurgent: « de quel droit critiquez-vous mon restaurant? ». Les mêmes qu’on voit fièrement afficher « Je suis Charlie » sur leur page facebook, car ce sont de grands démocrates.
Quand les élus du miche appartiennent à l’église « Collège Culinaire », c’est encore une autre limonade. Le « Collège Culinaire »… grand’messe permanente de la sainte élite culinaire de France, pays centre du monde selon la loi robuco-ducassienne ayant court dans toutes les bonnes écoles de cuisine de la République. Vous avez entendu parler de Robuchon épinglé dans son nouveau restaurant bordelais pour « harcèlement »? Défendu par son coreligionnaire du « Collège », le fameux Alain Ducasse qui s’en prend sans la moindre retenue à la presse « charognarde » à l’égard de son coreligionnaire. Non par ferme conviction mais par simple corporatisme. Quel toupet! Quand pour l’ouverture d’un de ses nouveaux restaurants, Ducasse siffle les plumitifs aux ordres et les journaleux complaisants, il fait moins la grimace.
Olivier Gros