DUCASSE VS MICHELIN
JE VAIS VOUS FAIRE UNE PROPOSITION
QUE VOUS NE POUVEZ PAS REFUSER
Lors de la cérémonie des remises de médailles du Guide Rouge début 2016, le multi-étoilé monégasque invité s’épanchait dans le micro tenu par le Michelin: « Il y a des institutions dans la gastronomie française, Joël Robuchon en est une. Et je suis déçu que Joël Robuchon ne soit pas sur scène avec moi [pour recevoir 3 étoiles]. »* Quand on connait le stratège froid, l’ingérence d’Alain Ducasse dans les affaires du marchand de pneus s’apparente plus à une partie d’échec façon Karpov qu’à une flânerie en gondole: une menace à peine déguisée! Faut être copain avec Ducasse et ses amis du « Collège Culinaire », sinon panpan-culculinaire, miche ou pas miche. Faut être sacrément gonflé pour remettre en place en public un guide devant un parterre de témoins journalistes! Il est plus affolant encore qu’à ma connaissance de ces dits « journalistes », simples gratte-papiers serviles conviés à la sauterie du miche, aucun ne relaye la facétie, trop flattés qu’ils sont de partager les petits fours du buffet avec les grandes toques de ce monde. C’est normal. Normal que Ducasse explique au Michelin son boulot. Le 7 mai 2016, il pleurniche (encore) sur la perte d’un étoile pour le restaurant du « Meurice » (75): « Je trouve d’abord que nous n’aurions jamais du la perdre. Sincèrement, cela n’a pas de sens. »** Pas mal non? Loin de moi l’idée de comparer le « Bouche à Oreille« au fameux Guide Rouge, mais si un restaurateur, fut-il étoilé venait à m’expliquer la façon dont je devrais procéder pour faire mon guide, il serait reçu. Sachant que si notre travail ne plait pas à tout le monde, c’est une autre question.
La péripétie est à mettre en parallèle avec l’ambition de monopole de Ducasse sur la filière… qui adora pourtant le Guide Rouge quand le rapport de force était inversé. Mais ça, c’était avant. Le multi-étoilé montre une soif de contrôle sur l’intégralité du bizness « restaurant » dont font partie « les guides ». Ambition d’ailleurs très avancée puisque la sphère blogueuse et journalistique est désormais globalement aux ordres de Ducasse! L’homme d’affaires a parfaitement intégré les faiblesses de la profession de « journaliste »: manque de moyens organisé par les patrons de journaux eux-mêmes, dérive sournoise de la déontologie du métier (invitations aux déjeuners de presse acceptées sans le moindre état d’âme), besoin de reconnaissance et d’appartenance à un groupe élu par les dieux de la gamelle qu’ils approchent. C’est vous dire l’état de décrépitude du métier de chroniqueurs et autres « critiques » à la solde du pouvoir saucier argenté. Mais passons. Le multi-étoilé vampirise le Guide Michelin pour nourrir son propre guide des « restaurants de qualité », émanation du « Collège Culinaire de France » qu’il co-préside avec… Joël Robuchon! Il prend son temps pour vider le fameux bibendum de sa substance… Très affaibli, il sera alors temps de porter le coup de grâce, un simple coup de fourchette pour crever le pneu déjà bien dégonflé.
Olivier Gros
* Il faut rappeler ici que déjà bénéficiaire de 2 étoiles en deux années pour son restaurant bordelais, Robuchon s’attendait de toque ferme à la 3ème.