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TRIBUNE LIBRE
A PROPOS DU GUIDE ROUGE 2020
Comment ne pas rappeler aujourd’hui les paroles de Bernard Naegellen* en 1990 s’expliquant sur la rétrogradation de 3 à 2 étoiles au guide Michelin du restaurant du formidable Alain Chapel, pape de la gastronomie Française en son temps, décédé à 56 ans d’un infarctus: « J’ai voulu par ce geste témoigner mon respect pour le chef défunt dans la mesure où conserver la troisième étoile au restaurant aurait été considérer que l’homme n’avait compté pour rien dans son excellence ».
Il fut un temps où la disparition (départ ou décès) d’un chef entraînait la perte quasi automatique des étoiles qu’il avait gagnées, ce qui est somme toute logique et honnête. Ce qui, par ailleurs, libère ses successeurs et leur donne l’élan, l’énergie pour se lancer à la reconquête du Graal, comme Anne-Sophie Pic le fit en 2007 après que son restaurant était déclassé en 1995, suite à la mort de son père Jacques Pic.
Par ailleurs, sauf à considérer que les arguments déployés par les adversaires du Michelin (volonté de faire le buzz, incompétence culinaire) s’appliquent depuis les années 50, je note que le restaurant Bocuse est loin d’être un cas isolé ou je ne sais quelle extravagance imputable au « jeunisme » de la direction actuelle. Le restaurant Paul Bocuse s’inscrit dans une longue suite de maisons historiques et réputées « indéboulonnables » déchues de leurs 3 étoiles. Pour n’en citer que quelques unes: Taillevent de Vrinat (spectaculaire et cruelle), La Tour d’Argent des Terrail, Lasserre de René Lassere, Grand Véfour de Raymond Oliver en 83 puis Grand Véfour de Martin en 2008, Vivarois de Peyrot, Moulin de Mougins de Vergé, Buerehiesel de Westerman, Auberge de l’Ill d’Haeberlin, Pyramide de Fernand Point, Chapel de Chapel, Pic de Jacques Pic, Auberge du Père Bise de Marguerite Bise, Oustau de Baumanière de Thuilier, Crayères de Boyer, Espérance de Meneau, Puymirol de Trama, Manigod de Veyrat etc.
On s’en est ému en son temps, crié à l’injustice parfois, même si le tam-tam des réseaux sociaux et leur grand n’importe quoi n’était pas encore là pour amplifier les réactions et sur-réactions haineuses de personnes trop souvent dépourvues, sinon de modération, du moins d’arguments… quand ce n’est pas de neurones! Certaines de ces maisons ont depuis regagné leurs 3 macarons sous la houlette de leur nouveau chef, d’autres se sont enfoncées dans l’anonymat ou bien ont simplement disparu.
Pour moi l’avenir n’est pas la tradition, bien au contraire, la tradition c’est l’avenir. Alors, attendons plutôt de savoir quelle formidable maison sera promue cette année, à la suite des Mauro Colagreco, des frères Meilleur, de Laurent Petit, d’Arnaud Donckele, de Christian Le Squer, de Yannick Alléno ou de Christophe Bacquié… sans compter tous les autres, élevés à une, deux ou trois étoiles. Et que ceux qui ignorent le Michelin, c’est leur droit… l’ignorent vraiment.
Claude Elissalde
Capitaine au long cours
https://www.facebook.com/Argomer
*Directeur du guide Michelin de 1985 à 2000