POLLUTION TÉLÉVISUELLE
ET BROUILLAGE DE CODES
On a tout lu, vu et entendu sur les émissions de téléréalité comme « Top Chef ». Placement de produits des industriels (Ferrero avec Nutella, Nestlé avec Nespresso, MacDo etc), scénarisation outrancière et chronométrage bidonné des épreuves, faux réalisme… et contrevérités confirmées par le chef roannais Michel Troisgros lors de l’émission télé de France 2 « thé ou café » diffusée en mars 2017*: « c’est pas comme ça que ça se passe dans les cuisines. On ne court jamais dans une cuisine. Jamais. Il n’y a pas de chronomètre dans une cuisine »*. Courageux propos. Courageux car ne pas aller dans le sens du vent des annonceurs et d’une possibilité d’arrondir (grassement) ses fins de mois comme le font Marx, Piège, Darroze et consorts est forcément courageux de la part d’un cuisinier. On peut même dire que plus est réputé le chef, plus le risque pris d’une critique du système est grand tant il a à perdre! Mais passons.
Et puis l’autre jour, je discute avec un excellent chef des alentours d’Aix-en- Provence (13). Il regarde parfois l’émission « Top Chef » car comme beaucoup de bons cuisiniers, il continue d’apprendre malgré 25 ans de métier au compteur. Il décrypte mieux que personne dans le petit écran le vrai du faux du côté des fourneaux… comme Michel Troisgros. Il choppe au passage les bonnes idées (tiens? c’est pas bête…) et aussi, pouffe devant le gaspillage des produits dont seules les parties nobles sont utilisées, et repouffe quand il calcule le budget des assiettes envisagées. Bref! Il fait un tri avisé des images qu’on lui soumet.
Mais quel est l’impact de « Top Chef » sur le téléspectateur commun? Voilà peu, notre cuisinier recevait un groupe de 40 personnes absolument ravies: elles demandent en fin de repas à voir le chef pour le complimenter. Le temps de donner quelques consignes à son équipe de cuisine, le chef en sueur s’essuie le front puis file saluer ses clients, un exercice « old-school » qui ravit généralement tout le monde. Devant une assemblée aux anges et après échanges de circonstance, une dame avec un air pincé et aux cheveux violets tirés lâche sur un ton sec: « vous avez une tâche sur votre veste de cuisine et à la télé à « Top Chef », ils n’ont pas de tâches sur leur veste de cuisine ».
Terrible. La restauration moderne aseptisée est désormais ancrée dans les ciboulots domptés des masses éduquées: cuisiniers aux vestes immaculées et doigts manucurés. Imposés de facto par l’industrie alimentaire, les codes hygiénistes véhiculés par les médias en général et la télé en particulier ont la voie libre, nettoyée. Un peu comme dans ce sport nordique, le curling: comme un symbole la pierre de granit est lancée sur la glace par les lobbys de la bouffe du XXIème siècle, les chefs-collabo télévisuels balayent ardemment devant la trajectoire pour que le sponsor-rémunérateur atteignent la cible: « la ménagère de moins de 50 ans » tout comme les dames aux cheveux violets tirés à l’air pincé.
Une nouvelle fantaisie de l’Etat fait écho à la propagande qui couvre les intérêts des grosses firmes de l’alimentation des masses: le ministère de l’agriculture a lancé début avril 2017 un site qui permet de connaître les notes des contrôles sanitaires effectués par l’État dans les restaurants.** Allez lire et rire: les Mac Do, Quick et Hippopotamus dispensent une mauvaise nourriture… merveilleusement hygiénique! Le vrai cuisinier a du souci à se faire! D’ailleurs il s’en fait depuis longtemps! Sans remettre en cause sa relative bonne volonté, le législateur ne prend pas (une fois encore) la question de « l’hygiène au restaurant » par le bon bout. A qui profite le crime? Demandez aux lobbyistes de la bouffe aseptisée! Ils nous conditionnent à accepter une cuisine avec des œufs en bouteille et des fondants au chocolat congelés!
Olivier Gros
* http://www.huffingtonpost.fr/2017/03/26/le-chef-etoile-michel-troisgros-dezingue-top-chef-et-parle-d-un_a_22012447/
** http://alim-confiance.gouv.fr/