L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°40 Nov 2001

POUR CERTAINS CHEFS, LA VALEUR ATTEND LE NOMBRE DES ANNEES ; POUR D’AUTRES, LES GUIDES DOIVENT OCCULTER LES MAUVAIS

On entend souvent, venant des rangs de ces chefs aux capacités incertaines, l’intérêt pour notre guide d’occulter les mauvaises adresses. Ben voyons ! ainsi nous rentrerions dans le rang, dans la triste banalité de tous ces guides qui ne veulent froisser personne et ne pas alimenter inutilement les caisses de leur avocat. Cette idée saugrenue n’effleure d’ailleurs que les chefs d’une certaine catégorie, jamais les lecteurs. Si le monde de la critique gastro a toujours fonctionné ainsi, ces mêmes chefs se demandent bien pourquoi cela ne continuerait pas. Dans pays anglo-saxons, on a habitué depuis longtemps le lectorat à signaler toute adresse à éviter. Cela nous paraît être un droit élémentaire à tout critique de guide gastronomique. A quoi servirait-il dans l’hypothèse où il ne pourrait pas exercer son métier de conseil sur un établissement qui n’offre aucune prestation de qualité ? Le lecteur quidam pourrait se poser la question. C’est un peu ce qui se passe actuellement en France, à la réserve près que le Go et Millo et quelques petits futés se dévergondent sous la poussée du ras-le-bol d’un certain lectorat qui n’admet pas ce ton consensuel et miévreux de tous les guides plus faits pour flatter l’ego du chef que pour réellement informer le lecteur.

INFIRME DU PALAIS

Le BàO a ouvert la voie il y a maintenant 10 ans, avec des critiques négatives qui ne se cachent pas derrière son stylo. Elles sont franches, directes, sans circonlocutions mais sans infamie ou injure ordurière. L’humour reste le tempo de base de tout texte négatif. On a beau entendre le moindre égratigné dire qu’on est un torchon en l’occurrence, ou comme le dit Monsieur Franck Villette de l’Auberge Josse à Lorgues, infirme du palais, on reste dans la frange des gens qui respectent l’autre, tout en revendiquant le droit de dénoncer ses mauvaises prestations. La courtoisie reste un de nos principes de conduite. Même lorsque nous sommes agressés verbalement ou textuellement. On ne se refait pas. Nous reconnaissons toutefois qu’il est difficile d’avaler une mauvaise critique. Et que quelquefois, elle peut engendrer de la colère sanguine ! elle doit pourtant rester matière à réflexion pour qu’on essaie d’évoluer et se débarrasser de toutes ces scories qui noircissent le tableau. Et surtout, par pitié, qu’on évite de nous asséner le sempiternel : « comment osez-vous nous critiquer alors qu’on existe depuis 25 ans ? » Comme si les années étaient le meilleur moyen de se prémunir contre tout, l’incompétence, les travers, les mauvaises manières et les manquements à la déontologie. Ce serait alors, j’ai x années d’exercice, donc vous ne pouvez rien dire contre moi ! ce serait imparable non ! et grotesque ! C’est pourtant ce que nous a dit Monsieur Franck Villette de l’Auberge Josse.

Paul Bianco