LE GRAND DÉFOULEMENT
Qui n’a jamais entendu au restaurant l’insupportable « je vous écoute » lors de la prise de commande du serveur concentré sur son stylo et qui ne vous regarde même pas? Agrémenté parfois d’un soupir: il jette un œil à sa montre. Les plats arrivent, les incongruités du service continuent: « c’est pour qui les cuisses de moustiques bio à 65°, infusion de gorgonzola torréfié au thé Matcha du Turmekistan aux légumes locaux de l’hémisphère sud »? Suivi d’un « bonne fin d’appétit » ânonné sans conviction, voire du douteux « bonne continuation d’appétit » et autres tics verbaux dont nous affublent certains préposés à la fonction du service qui, dans une peur du vide parfois comblée du suintement niais d’une musique mièvre, nous gratifient d’une prestation exsangue de sentiments. Ce n’est pas mon boulot de l’être: Le Bouche à Oreille n’est pas tellement « sympa » avec le métier de restaurateur, difficile. Oui, mais gagner sa croûte au quotidien pour pouvoir se payer un restaurant de temps de temps l’est tout autant.
Et puis, de la liste des verbiages automatiques plus ou moins en dérapages contrôlés, le « ça vous a plu? ». Il arrive souvent à la fin d’une assiette que vient retirer le serveur. La question est sympathique, on a envie de croire à sa sincérité car suppose qu’on vous porte intérêt. Même quand l’assiette est encore pleine de victuailles et que vous n’êtes pas allés plus loin que les deux coups de fourchette réglementaires pour se faire une opinion, la faim vous tenaille toujours le caisson. Notez que les roublards du service ne posent pas la question quand l’assiette est à peine entamée, ne donnent pas le bâton pour se faire battre.
La grande question est toujours, pour moi qui n’ai pas la culture ni l’intelligence des grands sauciers ni la perspicacité des maitres d’hôtel avisés: comment peut-on poser la question « ça vous a plu? » en voyant une assiette à peine touchée sans s’en inquiéter? Autrement dit, ne pas avoir ce minimum de conscience professionnelle qui consiste à creuser pour connaitre le problème. Parfois, le cuisinier qui assume ses responsabilités vient en salle pour comprendre et entendre les justifications sincères… ou farfelues du client. Mais il est venu.
Le moins rare et que bon nombre de restaurateurs s’en foutent comme de leur 1ère salade de chèvre chaud. Font les sourds, mettent la tête dans la polenta. En particulier sur le littoral et en lieu touristique. De toute façon, si on commence à écouter les avis des clients qui n’y comprennent rien, on ne s’en sort pas. N’allez pas chercher plus loin le succès des sites de contributions comme TripAdvisor et consorts. Le grand défoulement.
Olivier Gros