NETTOYAGE UTOPISTE DE LA PISTE D’APPÉTISSAGE
Chacun donne son avis sur les moyens à mettre en œuvre pour préserver le lieu de convivialité qu’est le restaurant, ou ce qu’il en reste. Chaque consommateur a sa propre idée, chaque restaurateur aussi, les réseaux sociaux amplifiant le phénomène. Ça fait du monde au balcon. De notre côté on s’en tiendra à un inventaire personnel et subjectif de ce qu’on voudrait voir dégager de la piste d’appétissage.
Le fait maison bidon. Au lieu d’éclairer le consommateur, la législation imbécile du « fait maison » l’induit encore plus en erreur. Label vidé de sa substance à coup de lobbying dans la cafetière: la messe est dite en 2014! Décret mort-né. Tout bénéf’ pour l’industrie de l’agro-alimentaire et ses dealers de la gamelle qui pullulent: 80% de la cuisine des restaurants sort de labos industriels! Une courageuse minorité de « réré » (résistants-restaurateurs) opposée au mensonge est née. Cuisiniers conscients qu’ils ne feront pas fortune dans le métier, mais qui veulent être fiers de leur travail. Si on dégageait les filous?
Plats en photo. Idolâtrie de la profession justifiée à l’endroit du magazine papier Thuriès: chaque cuisinier le feuillète avec admiration. Ses photos auront fait rêver des générations de cuisiniers bien avant internet. Même si les recettes révélées y sont volontairement incomplètes… Lors des années 80 et peut-être avant, les restaurants asiatiques lançaient la mode des plats photographiés, sur leur carte ou sur un grand panneau sur le trottoir. On sait depuis que ce que nous sert sous le nez ressemble rarement à la photo. L’homme n’apprend jamais rien, c’est désespérant: il continue à tomber dans le panneau virtuel des photos sur Instagram ou Facebook! Insupportables concours et classements de plats sur critères exclusifs d’esthétique! Pixels pour bouffeurs avec filtres trompeurs! Une photo ne veut pas dire que c’est bon, ça veut éventuellement dire que c’est beau! Combien de fois m’a été servi un magnifique « dessert de télé » façon Top Chef à qui j’aurais donné le Bon Dieu sans confession? Sauf que de fruits, à goûter ils n’étaient que dans l’intitulé. A bas les escrocs de la photo!
Les automatismes des serveurs. Passons sur le pénible et intemporel « je vous écoute » lors de la prise de commande. Battu à plate couture dans notre classement par le « ça a tété? » au moment de l’addition. En bonne place et sur le podium, l’irritant « bonne dégustation messieurs-dames ». Mais on aime bien le « ça va? C’était bon? » accompagné d’un sourire sincère. Ne pas oublier le serveur qui sans même dire bonjour ni vous regarder, récite la leçon de sa direction: « alors ici le chef fait que des produits frais et du fait maison ». 9 fois sur 10 présenté ainsi, c’est un mensonge de camelot.
Tablettes tactiles. On les trouve parfois en remplacement des cartes de papier. Sinon que ça fait « moderne », qu’on m’explique l’intérêt d’un tel outil dans un tel lieu! L’argument hygiénique ne tient pas! Vu mes rapports personnels avec la haute technologie, « plus facile » ne tient pas non plus! On se croirait au bureau ou dans un film de science-fiction avec le robot qui amène le jambonneau! Ou dans une boutique de produits informatiques! Allez hop: on dégage!
Absence d’affichage. Forcément les tarifs des menus et la carte sont présentés au client: papier, ardoise, tablettes ou oralement. C’est le minimum pour pouvoir passer commande. Mais pour les boissons et en particulier, les verres de vin, les eaux et le café, parfois c’est pochette surprise! Le restaurateur spécule ainsi sur l’idée que le client n’en demandera pas le tarif au risque de passer pour un radin, surtout s’il est accompagné. Les tarifs des desserts sont fréquemment tout autant dissimulés, entrant ainsi dans la danse du non-dit. Formidable non?
Absence d’affichage (bis). En Italie, le restaurateur affiche le détail des plats surgelés ou congelés sous peine d’être hors-la-loi. En France, ce pays qui n’a rien n’a voir avec la mafia, un restaurateur équipé du code professionnel APE 5610 comme Bocuse peut refourguer un cocktail d’arômes et d’additifs ajouté à coup de vaporisateur sur son poulet aux écrevisses de sous-traitance industrielle. Sans en informer le client. Ou après avoir ajouté une feuille de persil sur la sauce, estampiller sa blanquette industrielle d’un label « fait maison » réglementaire. J’ai déjà parlé du « fait maison » plus haut? Oui, je sais mais j’insiste.
Serveurs pédagogues. Les restaurants sophistiqués ont parfois un bavard maitre d’hôtel. Il vous explique par exemple comment absorber la sous-mignardise dodue comme un cuissot de moustique: « vous prenez le cuissot avec la pince à épiler, vous la mettez sous la langue en regardant le plafond, puis vous la tournez dans le sens des aiguilles d’une montre jusqu’à la glisser sous l’avant-dernière molaire à droite puis croquer en pensant à vos vacances à Djerba ». Aussi, un jour chez un étoilé cherchant à plaire aux codes imposés du Guide Rouge, un sommelier m’expliquait avec lourdeur comment tenir mon verre en me servant le précieux nectar. Le temps que le même m’expose sa prose technique sans passion, j’avais achevé ma dosette de 14cl. Et lui et son air supérieur: on ne doit pas mettre de moutarde avec le magret de canard! Vivement le gigot-haricots chez mémé dimanche qu’on rigole!
Les classements de restaurants. Ils sont nombreux. Celui du pigiste de la PQR* en mal d’inspiration, du blogueur local qui veut faire parler de lui, des guides, des journalistes, des associations… du classement des meilleures pizzas de la ville aux meilleurs hamburgers du canton, des plus belles terrasses pour l’été aux « meilleurs jeunes cuisiniers de la nouvelle génération qui montent » etc. On s’en tape. Ce qu’on veut, c’est de l’info, c’est l’avis éclairé du journaliste après un test en bonne forme, c’est-à-dire payé et si possible sous anonymat. Pas un recopiage de dossier de presse ou un piochage imbécile de photos sur Facebook pour seuls arguments.
Les cuisines microscopiques. Oui, il est nécessaire de se nourrir et on considère la pratique du restaurant comme un activité culturelle. C’est pas une raison pour nous donner à bouffer des os de moucherons. En ce qui nous concerne, on aime bien les assiettes réfléchies et originales sinon, avec 380 repas par an au compteur on tournerait en rond depuis belle lurette. On aime visiter les musées d’art contemporain comme on aime le Louvre. Mais on veut sortir de table sans avoir faim ni se bâfrer de pain.
La mainmise de l’industrie sur les guides gastronomiques et les concours. Concours locaux, nationaux ou mondiaux. Tous n’assument pas leur fonctionnement économique. La plupart des organisations ont en point de mire le guide Michelin qu’elles jalousent secrètement, s’imaginant avec excitation « calife à la place du calife », un jour. Les sponsors de l’agroalimentaire devant fourguer leurs produits aux chefs ont investi le secteur de la com’! Voici quelques « partenaires » du plus connu et respecté guide, le fameux Michelin: San Pellegrino (Nestlé), Métro, Lavazza, Lactalis et même TheFork, ex La Fourchette propriété à 100% de TripAdvisor. Trop long de lister ici toutes les interactions nocives entre les partenaires: industrie agroalimentaire, chefs et médias. Un véritable triangle des Bermudes où disparait le regard critique pour ne pas faire de l’ombre à l’économique. Les guides corrompus? Allez hop! Poubelle!
Les cuisines à 4 mains (ou plus). Peu vues en 2020 pour cause de Covid, le phénomène s’est essoufflé mais ça devrait vite nous revenir dans le pif grâce aux bataillons de communicants des chefs sur le pied de guerre et rémunérés au dossier de presse arrivés sur le bureau des journalistes-blogueurs influents. Souvent invités à casser la croûte à l’œil, les journalistes anonymes dont tout le monde connait le minois y prennent de jolies photos de chefs en couleurs pour leurs blogs. Indigeste d’autant que le client gourmet du restaurant se contrefout de ce genre de manif’ pour matuvus comme de sa 1ère chipolata. Effet masqué de l’opération: guerre d’egos fréquente entre les deux cuisiniers réunis. Un des conviés tire toujours la couverture à lui, à moins que ça ne soit l’autre. Nous, on rigole.
Les champions du Monde de pizza. Très nombreux. Comme pour la boxe (on n’y comprend plus rien) il existe dans chaque championnat plusieurs catégories: pizza classique, teglia (plaque), acrobatique, rapidité, bio, dessert etc. En grattant un peu, on constate que l’industrie alimentaire est intimement liée à la spécialité italienne en sponsorisant des concours: la milanaise mozzarella Galbani (groupe Lactalis) qui n’a pas le monopole de la qualité**, les napolitaines farines Caputo*** qui au moment où nous les lisons ne signalent pas dans ses « fiches techniques » les additifs dans ses farines etc. Des exemples parmi tant d’autres. Bref! La multiplicité des concours est un moyen privilégié pour l’industriel de contrôler sa propre image en adoubant de nombreux pizzaiolos qui, généralement, lui resteront fidèles à vie. Pour financer un concours, le fabricant productiviste « sponsor » est condamné aux grosses marges et aux gros volumes. On retrouve d’ailleurs les produits dans la grande distribution, y compris sur Amazon et Cdiscount. Les meilleures farines ou mozzarella, comme beaucoup de produits alimentaires, ne sont pas les plus connues… ni les plus chères! Vous connaissez désormais la raison pour laquelle il existe une flopée de « champions du monde pizza ». Légitimes ou totalement frelatés.
Les cuisines ethniques à la mode. Le hamburger a colonisé les cartes de 9 restaurants sur 10, à vue de nez. Beaucoup de sino-vietnamien se sont recyclés dans les sushis. Dans le même style envahissant, on nous balance désormais le poke-bowl. Prononcez « peauké beaule ». Quel restaurant ne possède pas (encore) son poke-bowl? A la base, une spécialité venue d’Hawaii à base de poisson cru mariné et d’autres choses. Ça fonctionne bien car dans la mouvance du manger sain, c’est plein de bonnes choses: fruits ou légumes, huiles, bon gras, vitamines. C’est assez drôle car le sain poke-bowl se positionne en résistant implicite face au gras burger. Rien d’étonnant qu’on le retrouve en milieu urbain au menu des boutiques bobo-hipsters. A côté des bouteilles de vins nature. Justement…
… Les ayatollahs du vin nature. Franchement, ils font ce qu’ils veulent. Œuvrer pour un monde meilleur en vendant des boutanches sans produits chimiques: bravo! Mais quand dans un lourd silence l’intégralité de la salle se retourne quand vous dites un peu fort au sommelier que son pinard nature n’est pas bon, on se sent vraiment seul. Tout le monde a le droit d’avoir un avis, mais seulement s’il est comme le mien.
Les chefs qui cuisinent d’abord pour les guides. Quand on entre dans un nouveau restaurant, on renifle rapidement si le chef cherche les médailles des guides: tarifications dans le cadre attendu du Michelin, protocoles, toilettes et forme des tables, style de personnel et présentation des assiettes: les chefs les reproduisent après visionnage sur Internet de celles de leurs idoles, Ducasse et autres étoilés. S’inspirer oui, mal copier non. Pathétique.
Le grand capital à l’assaut des petits restaurateurs: vous êtes cernés! Votre idole de toujours Michelin est entré dans une valse risquée avec TripAdvisor « pour un partenariat stratégique international » en décembre 2019. Michelin qui vient de racheter le 28 octobre 2020 100% du guide Fooding, et côté vin le guide Parker en 2019. Les gros poissons se font toujours boulotter par de plus gros. Bon courage aux chefs des petits restaurants qui pactisent lors de vaseuses promos qui n’enrichissent qu’un seul côté du deal: vous êtes cernés!
Les clients acheteurs de remises. Le leader du marché des remises au restaurant aujourd’hui (tout va très vite) s’appelle TheFork, ex La Fourchette (Groupe TripAdvisor). Bonnes affaires? Des restaurateurs y effectuent des remises sur leurs repas qui vont de 20% à 50%! De qui se moquent t’on? Qui peut croire à la réalité d’une réduction de cet ordre sans tricotage tarifaire ou traficotage des produits? D’autant que le restaurateur reverse 2€ ht par client à TheFork, en sus. On sait bien que le rapport qualité prix est l’élément clé pour choisir un restaurant. Autrement dit, le client n’y va pas pour une remise, mais parce que c’est bon et que la direction ne vous prend pas pour un koweïtien en goguette.
Olivier Gros
* Presse Quotidienne Régionale
**https://www.lexpress.fr/actualite/societe/du-fromage-avarie-recycle-en-produits-frais_524647.html