L’INDÉCENCE
Un midi, du côté de l’étang de Berre (13). Mignonne table sur un axe routier fort passant à proximité de nombreuses zones d’activité. Le lieu douillet et délicieux (on y mange bien) est assidument fréquenté par des commerciaux, des ouvriers, des retraités. Tables coquettement dressées, serviettes en tissus dans un style appliqué et démodé qu’on pourrait croire perdu à jamais, un savoir-faire un peu à l’ancienne… et une télé en service accrochée au mur!
Je suis seul en salle, tous en terrasse. Jamais vu ce programme court de moins de 2 minutes diffusé au quotidien vers 13h30 sur TF1: « petits plats en équilibre » animé par le populaire et polyvalent Laurent Mariotte, journaliste culinaire, télé, radio, bouquins… Aujourd’hui 30 avril 2019: « salade de pommes de terre » . On nous apprend des trucs, comme la cuisson de la patate qui doit commencer « à froid », impec’, cet été dans mon jardin je pourrais faire le malin devant mes copains et la maligne devant mes copines avec les aubergines et la margarine. Bref!
Fin du programme… ou presque! Alors le journaliste à la solde de TF1 programmé pour rentabiliser son propre « espace » télévisuel contourne son propret plan de travail et s’approche de la caméra pour proposer un jeu-concours imbécile. Façon « Oncle Sam » recrutant la chair à canon: « vous pouvez gagner 75.000€ en répondant par SMS à la question suivante » etc.
Passe sous la télé l’employée du restaurant. J’ai vu son coup d’œil vers l’écran, elle se fige une seconde: 75000€ en un coup de SMS, c’est pas rien quand même. Puis elle repart, nettoie les tables après les avoir débarrassées, passe le balai entre les pieds de chaises, méticuleusement, comme après chaque service, 6 jours sur 7. Pendant que je boulotte ma cuisse de canard confite, nous échangeons un peu, avec légèreté et sans qu’elle ne stoppe sa mission ménagère. Deux ans ici à temps partiel, deux jeunes enfants je crois.
Comme le sucre, l’alcool ou la clope: les jeux d’argent, font de considérables dommages dans la société, en particulier sur la jeunesse larguée en manque de repères. Le problème n’est pas que sanitaire, il est aussi moral. A vue de nez, les 75.000€ du jeu correspondent à 6 années de salaire net de la petite pour un coût global de 2000€ mensuel au total pour l’employeur.
Olivier Gros